C'est une nouvelle catégorie dans le monde de l'alpinisme, facilement repérable grâce à leurs tenues tirées à quatre épingles, le sac de 30 litres sur le dos, la Suunto au poignet, les petites chaussures de randonnée à 300 gr et les skis à 800 euros, les formules 1 de la montagne en jette un maximum dans les files d'attente des téléphériques. Des images de Killian et d'Ueli plein les yeux, ils ne sont pas là pour plaisanter, d'ailleurs n'ont ils pas parcouru la Grande Face Nord à la journée, en moins de 9 heures 28 minutes 45 secondes et 30 centièmes !!! Par grand beau temps, sans vent, quand il n'y a qu'à suivre la tranchée laissée par la foule, l'illusion est parfaite : le light'n fast, c'est de la bombe, en plus j'ai eu 35 likes sur mon Facebook, demain c'est sûr je serais sponso'. Mais la montagne est exigeante ; si elle sait laisser sa chance une fois, tous les coups ne seront pas gagnants. Pour tenter d'étre à la hauteur, il faut de l'expérience et un cerveau. Bourriner comme un âne de skieur-alpiniste qui remonte une piste servira mais un peu plus tard, bien plus tard. Il faut voir plus loin que le bout de son nez, ces gars sont des pros, sur-entrainés, largement surdoués par rapport à la moyenne et qui surtout ont des années d'expérience derrière eux.
Curieusement, attentifs aux moindres grammes superflus, les fils spirituelles de la pratique Hispano-Helvétique ont toujours un portable dans le revers de leur veste high tech, très utile pour les selfies et .... les appels au secours.
Des crevasses, ou çà ? |
Comment j'explique à mes gamins qu'il ne faut pas sauter les crevasses aprés ?
Entre idoles qui (semblent) flirter avec la mort et événement commercial à l'affiche aguichante, le quidam de la montagne a forcément du mal à savoir ce qu'on fait la-haut ! Un stade de sprint avec crampons aux pieds, un parc de free-style ou un terrain de performance pour skieurs de rando. Dernier né des évènements exploitant le nom Mont-Blanc et surfant sur la vague du ski-alpinisme. Voilà La-Trace-du-Mont-Blanc , cautionnée par les hautes instances de la Vallée et qui plus est éco-responsable, ce genre d’événement ne fait que tirer l'image du massif du Mont-Blanc vers le bas...mais vu le bénèf' de l'UTMB pourquoi laisser échapper une telle manne financière, un focus média en plus. Il est vrai que je me suis enflammé car les 22500 euros de bénéfice potentiel (300 concurrents à 75euros ici) ne paieront que les services de pro embauchés pour l'épreuve plus d'info. Mais chacun sait que la réussite de ce genre d'évènement se mesure dans l'impact média plus que dans la rentabilité immédiate.
Welcome in Chamoney land ! Cette année une course pour voir, dans 10 ans combien? La brèche Puiseux à l'envers, le réactor à la montée, Midi Plan en aller retour sans déchausser, l'inscription de cette course au calendrier international, l'été un trail place de l'église-top de la Bosse? Comment les organisateurs de ce genre de merde ne peuvent ils pas anticiper les risques pris par les concurrents lors des repérage et des entraînements. Pour bourriner à 3600m, il faut s’entraîner à 3600 et pas sur la Pierre à Ric. Dans ces secteurs forcément potentiellement crevassés, qui va vérifier que les gars évoluent en sécurité ? Imposer un matos minimum c'est bien, mais combien savent réellement faire une mariner double in situ? Combien on mis en oeuvre un mouflage efficace avec un brin de 8mm? Un corps morts avec des skis light, ça résiste à combien ? Les concurrents vont-ils effectuer une recherche DVA avant le départ, s'ils dépassent le temps max, ils sont éliminer ? Même bien encordé, tu te vois passer ne serait-ce qu'une heure au fond d'une crevasse avec ton collant jaune, mec? Le passage des séracs, qui va le sécuriser et même en interdisant les pauses dans cette section, on ne supprime pas le problème! Ne met-on en pas en danger la vie des compétiteurs en les engageants dans un tel passage? La surfréquentation du Mont-Blanc semblait préoccuper bon nombre de personnes il y a encore 6 mois, alors quand aujourd'hui des institutions prestigieuses de la vallée montent ce genre de manifestation, s'il vous plait Messieurs-dame, dites moi ce qui vous motive ? La beauté du paysage ? l'effort sportif ? Dites nous les ambitions de cette course à terme ! |
Je défie n'importe qui d'enrayer une chute en crevasse dans cette configuration |
- Un alpiniste secouru, incapable de poursuivre son ascension suite à la casse d'un crampon dans la face Nord des Courtes.
- Une cordée qui grimpe sans se soucier de l'horaire, prise par la nuit, perd la seule frontale, incapable de descendre doit attendre la venue des secouristes le lendemain matin. Bonus : doudoune et boisson étaient restée dans le sac...à la rimaye.
- Une cordée bloquée qui invente un faux bilan médical pour justifier la venue nocturne de l'hélicoptère.
- J'occulte évidemment tous le public "Vallée Blanche" qui pense être sur les pistes balisées du Brévent et dont la survie sur cet itinéraire glaciaire est uniquement dû au facteur chance. Imaginez : certains pensent trouver des pisteurs ou du balisage le long de l'itinéraire. L'un dit être à proximité d'un restaurant en parlant du refuge du Requin. L'autre demande une moto-neige pour le récupérer, le troisième conseille à son ami de déchausser ses skis en plein passage des séracs, d’après lui se sera plus simple et bien sur qu'il est en sécurité, il a ses crampons aux pieds!!!!
Force est de constater que la population qui parcourt les montagnes se divise en 3 catégories : Les Alpinistes, les prudents qui peuvent se payer le service d'un guide et les amateurs en sursis. Pour moi, un alpiniste est bien plus qu'un simple sportif car avant d'agir, il lui faudra approcher et ensuite revenir. C'est dans ces 2 actes que le vrai alpinistes fera la différence. Choix de l'itinéraire en tenant compte de l'exposition aux séracs, des crevasses du risque nivologique, longueur d'encordement adaptée, technique maîtrisée en cas de soucis (mouflage...), construction rapide de relais. Renoncement? Késako ? Un précepte sermonné dans l'ancien temps par des alpinistes couards? Les belles journées de cet fin Mars en Vallée Blanche semblent vérifiés que le renoncement en cas de cordé déjà présente dans une goulotte est caduque. La ruée des bœufs Mac-Intyriens aux Jorasses de cet automne l'aurait validé. La norme actuelle serait environ à 5 ou 6 cordées pour les voies inférieures à 300m, rajouté 2 cordées pour 100 mètres supplémentaires. Désormais, il faut prendre l'affluence comme un gage de sécurité !
Malheureusement, tels une roulette russe égalitaire, la montagne frappe, en nombre, chacune des 3 catégories de façon quasiment identique. Si l'on est au pro-rata, plus t'es blaireau plus t'as de chance...Déprimant !
En tant qu'alpiniste, je me demande sincèrement ce que font tous ces amateurs de 3éme catégorie en montagne. Le L'nF me fait gerber à un point que je me refuse les skis light et les lowtech et je n'arrive pas à m'engager dans une voie sans tout un surplus de matos souvent sans utilité pour l'usage premier (crochet décrocheur, crochet abalakoff, pitons, frontal...).
Concernant nos délinquants ( = personne ayant commis unn délit ;-) ), mon cœur balance, je sais que quand on est pris par la nuit, avec le poids la fatigue et de la journée augmenté du stress dû à l'environnement, on peut avoir des propos exagérés. Ainsi, dans le langage commun "avoir les doigts gelés" ne signifie pas qu'on fait le remake de Stephane Benoist à l'Annapurna. Malheureusement pour eux, l'infraction, "fausse divulgation de renseignement afin d'engager des secours", est retenue, cataloguée délit (= possible garde à vue), elle est répréhensible de 2 ans d’emprisonnement assortit de 30 000 euros d'amende. Le juge du tribunal de Bonneville tranchera à la mi-juin.
J'ai toujours détesté les sanctions, mais arrive un moment où il faut savoir taper du poing sur la table et dire : "STOP les gars, arrêtez, vous faites de la merde, c'est votre propre intégrité que vous mettez en péril". Il n'en faut pas plus pour que certains se mettent en tête que les secouristes vont se cacher derrière cette excuse pour ne plus effectuer leurs missions Croire que l'on a peur de partir en secours reviendrait à dire qu'un skieur de descente ne veut plus se présenter au portillon d'une grande course. Il serait faux de penser que parce que c'est notre métier, on ne connait ni doute ni angoisse car du fait du lieux, couloir du Gouter (chutes de pierres) ou glacier, l'issue d'un secours n'est jamais certaine. Alors si on rajoute des conditions délicates ( "haute altitude", nuit , vent, nébulosité...), c'est comme servir une tequila frappée à Guillermo Fayed avant qu'il ne prenne le départ de la Streif.
Trop récemment, nous recevons un appel suite à la chute d'un alpiniste. Départ rapide en hélico avec un autre secouriste et le médecin urgentiste. Le foehn forci en s'approchant. Pour faciliter ses manœuvres, le pilote s’allège d'une personne. L'approche continue, la victime est repérée mais les instabilités dues aux rafales oblige le pilote a s'alléger encore, le médecin et un maximum d'affaire sont sortis du cargo. Le lieu de l'accident est un glacier, aussi je présente au pilote, ce que j'estime être une zone "à peu prés sûre" pour évoluer sans assurance. Le dialogue pilote/secouriste est bref, l'analyse des 2 parties doit être précise car une fois la manip lancée, le retour en arrière sera compliqué. Comme souvent la maîtrise exceptionnelle de l'équipage permet la dépose avec une facilité déconcertante...en apparence uniquement ! Pendant que l'approche se termine, le mécano entame ma descente. Le point de dépose convenue est situé derrière une crête, l'aérologie est extrêmement turbulente. Le vent change sans arrêt de direction, le pilote lutte un long moment pour trouver le placement idéal. Il lui faudra pas moins de 4 présentations pour réussir la dépose. Durant ces instants incertains, chacun rogne ses marges pour mener à bien la mission, aussi le bilan est cruel quand l'annonce tombe : "victime décédée".