Temporairement célibataire en saison
d'été, mon univers est alors concentré sur la montagne 100% du
temps. Pendant 6 semaines consécutives, le travail m'y amène et mes
jours off m'y ramène. Mélange ininterrompu de bons moments et de
pires catastrophe, la pause estivale devient un
véritable concentré
d'émotions.
Moment attendu de l'été, j'apprécie
particulièrement la fête des guides de St-Gervais car pour moi qui
ne suis guide que par la médaille, vivre cette belle cérémonie de
l'intérieur est un grand honneur. De plus, au gré des rencontres,
son déroulement en est toujours incertain...mais bon cette année,
après une 15aine d'heures de vigilance de tous les instants, j'ai
réussi à ramener ma chemise, par contre "au revoir" béret et écussons. Une nuit bien trop courte, un petit BBQ à
midi et nous voilà à chercher comment meubler les 2 jours
suivants. Parti chercher des chanterelles,on se retrouve sur le quai
du téléphérique des Grands, direction le refuge d'Argentière. Fabien Dugit a
profité d'un sursaut de lucidité pour se rappeler qu'il lui restait
à terminer une voie commencée 2 ans auparavant avec Eric Jamet et Cédric Lachat. Avec son éternel sourire en coin et sa bonne humeur
constante, partir avec Fab' est la garantie d'un bon moment. Conjugué
au fait de "devoir" rester au refuge pour 2 soirées, que demander de mieux ? Béa et Fred, les gardiens, sont d'une gentillesse rare, être leur hôte est un sacré privilège. Nos airs de zombies St-Gervolains les font bien rire quand on leur raconte notre journée de la veille. Faut dire qu'on a pas besoin de détailler car notre dernière prestation en ces lieux fut des plus mémorables. Après un excellent déjeuner des plus arrosés, Béa voulait appeler l'hélico, persuadée qu'on ne verrait jamais le bas de la Pierre à Ric!!!! Bon, c'est vrai que ça n'a pas été sans mal mais après un petit quart d'heure à chausser les skis et quelques "frontflip" improvisés, on a finalement touché le fond de la vallée. Tout ça pour dire qu'a 7.30, on dormait comme des bébés. Réveil à 04.00, glacier des améthystes, rimaye du Y, 150m de gradins faciles, à partir de là on reprend les longueurs ouvertes en 2012. Le granit est magnifique et la grimpe en fissure bien sympa, rien à jeter !!!!
Un petit parcours d’arête varié et nous voilà au pied de la tour finale !!!! On a 3 possibilités, emprunter une ligne de fissures grises : peu excitant ; droit dans les toits : dément mais humide ; prendre en écharpe à droite mais sans certitude car on ne voit pas toute la face. Dans le doute, on choisit le doute. On ne sera pas déçu, que de la fissure et majeur en plus....Le bémol vient de l'averse de neige que l'on essuie et qui empêchera SuperFab d’enchaîner le 7b+ final. Reste encore la partie sommitale de l’arête du Jardin pour dépasser les 3900m. En résumé, une ligne hyper complète dans une ambiance décontractée, la classe quoi.
Les secours en alpinisme ne sont jamais
anodins car même si la traumatologie est légère, le milieu n'en
demeure pas moins exigeant. A contrario de l'alpiniste qui
s'approprie doucement l'environnement, le secouriste s'y retrouve
projeté bien souvent en quelques courtes minutes. Les éléments de
l'alerte permettent de se faire une idée...qui, pour moi, est
rarement la bonne. Même en connaissant très bien le massif, on n'en
connaît jamais chaque mètre carré. Et c'est bien souvent ce mètre
carré qui vient tout bousculer ! Quand par hasard tout colle,
se seront l'aérologie ou la météo qui viendront rajouter du
piquant... Il ne reste alors qu'une petite minute, quand tout va
bien, pour élaborer un plan d'action ou l'on intégrera : le
lieu de dépose par hélicoptère le plus adapté, la sécurité
d'une équipe de 3 personnes, la médicalisation du blessé puis son
évacuation, la gestion psychologique du compagnon de cordée, les
risques environnants (chute de pierres, coulée de neige, crevasses
potentielles, sérac, autres pratiquants....), tout cela pondéré
par l'adrénaline de l'action en cours. La frontière entre vitesse
et précipitation est aussi épaisse qu'une feuille de papier à
cigarette. Il est bon alors de pouvoir bénéficier d'une expérience
de 44 années d'inorganisation quotidienne qui au final donne une
certaine facilité d'adaptation à l'imprévu.
Quand l'issu est dramatique, les
réactions sont exacerbées. D'abord, il y a le choc de la
découverte, quand l'issue est incertaine je me persuade jusqu'au
dernier moment que tout va bien le meilleur des monde, puis
brusquement, un sac, une veste, un corps. Tout bascule dans
l'horreur, sans être docteur en médecine, certaines postions ne
trompent pas...Il faut alors « extraire » comme on
dit. Un mot bien trop court pour résumer les actions qui vont
suivre : anticiper sur les risques potentiels car souvent
(toujours?) les corps s’arrêtent sans tenir compte de
l’environnement. Même avec le statut de demi-dieu, le
secouriste du PGHM (de Chamonix ;-) ) n'en demeure un homme.
Personnellement, les circonstances ont faites que j'ai pris plus de
risque pour un mort qu'un vivant. Piocher sous la rimaye du couloir
du Goûter en fin d’après midi pour en extraire 3 personnes,
descendre de 40m dans une crevasse dont les ponts de neige successifs
étaient bien trop fragiles et ou ma corde de sécurité appuyait
bien trop fort, se retrouver sous un énorme sérac pour libérer un
corps retenu par de trop nombreux brins de corde avec un couteau qui
ne fonctionnait pas assez vite. Dans ce cas, même relier au câble
de l'hélicoptère, on sait que nos pilotes (qui eux sont de vrais
dieux) auront du mal à nous dégager du risque mortel.
Psychologiquement, cette situation est accentuée par le corps qui
nous fait face. Les victimes ne ressortent jamais « anatomiquement
correctes » de longues chutes. Le doyen de nos pilotes dit
qu'il « voit la mort sans la regarder », pour nous
secouristes je dirais plutôt qu' on « voit la mort et qu'on
essaie de ne pas trop s'en imprégner » car quand il faut
trouver le baudrier ou vérifier que la personne n'est plus accroché
à la montagne, difficile d'éviter cet œil arraché, ces deux mains
manquantes ou cette jambe qui a disparue.Et si l'on est assez
« chanceux » pour être aveugle à tout cela, notre nez
ne saura nous éviter cette odeur insupportable. Jeune secouriste,
cette odeur remontait dans mes narines à chaque fois que j'ouvrais
le dossier qu'il me fallait rédiger pour expliquer les circonstances
de la tragédie.
Après le terrain et l'action qui capte
l'attention, la partie la plus difficile reste à faire :
accueillir la famille.Trop facilement, on se projette à la place du
père, du frère ou du fils et le calvaire continue...
Si bien souvent, le décès est annoncé
de vive voix par une tierce personne, certaines situations nous
obligent à annoncer l'impensable par téléphone. Je me rappelle des
conseils d'un brillant psy, «arriver à faire formuler aux proches
ce que l'on doit annoncer.» J'avoue être extrêmement nul à jouer
au chat et à la souris dans ce contexte. Les cris qui suivent sont
insoutenables.
Le summum de l'émotion reste la
rencontre avec les proches, quand il faut tenter d'expliquer, quand
il faut dire avec conviction que non évidemment ils n'ont pas
souffert. Un jour, j'ouvre la porte du PG et tombe face à une jeune
maman en pleur, 2 jeunes enfants l'entoure, 2 et 5 ans. Papa est
parti faire un saut en wingsuit, le reste de la famille l'attendait
gaiement pour aller manger une glace. Il n'a jamais rejoins les
siens, les cieux l'ont accueilli. Mes enfants ont un age identique,
la transcription est rapide, je leur indique un endroit pour
s'asseoir et m'éloigne la gorge bien trop nouée pour prononcer un
seul mot. Après tout ça, difficile d'exprimer la motivation pour un
tel travail. Néanmoins, je reste convaincu que c'est le plus beau de
tous les métiers que j'ai envisager. Comme argument mon secours de
la veille. Tentant l'ascension de la voie des Dalles au Pouce, un
homme chute d'une vingtaine de mètres, son partenaire est affolé.
L'accident s'est produit à environ 200m du sol, en pleine paroi. En
cette fin d'aprésmidi, le temps est beau sur le massif mais un
petit groupe de cumulus a décidé de faire une pause au-dessus de la
Flégère. La première tentative d'hélitreuillage échoue, la
visibilité varie trop rapidement...Incertain du bilan vital, il est
urgent d'agir. Le pilote masterise et me pose en douceur, malgré
vent et nuages, ma main attrape le relais sans forcer, à moi de
jouer. Je me détache du câble, me sécurise à la paroi. J'évalue
rapidement le patient, on l'évacuera en l'état. Impossible de faire
mieux, si la météo se dégrade on sera tous bloqués au relais. Ce
genre de dépose est délicate, le médecin ne pouvait m'accompagner.
Après une court répit, les nuage reviennent. Le ton du mécano me
fait facilement comprendre l'évolution de la situation d'un point de
vue aéronautique. Méthodiquement, je sécurise le blessé, le
décorde, lui enlève son sac, vérifie qu'il n'est pas accroché à
la paroi par un autre mousqueton car cela serait catastrophique au
moment du treuillage. Tout bon, je rappelle l'hélico. La boule
orange qui symbolise l'extrémité du câble descend sur nous
rapidement. Je l'y accroche, le décroche du relais, un dernier coup
d'oeil pour vérifier que tout est ok, le signe de bras réglementaire
et déjà il est loin de nous. Tous cela a durer moins de 3 minutes.
Oufffffffffff, l'essentiel est fait. Pour son compagnon et moi,
désormais l'issu sera par le haut. Je passe en mode guide pour la
fin de l'ascension. La météo valide notre évacuation d'urgence,
nous ne sortirons des nuages que 3 heures plus tard, le Pouce lui
restera embrumé toute la soirée. Dés le lendemain, Gabriel pourra
raconter la fin la course à son partenaire en toute sérénité,
celui-ci n'a que 4 côtes cassées.